DISCOURS Prononcé par S. S. le Patriarche ALEXIS à l’ouverture de la séance inaugurale de la Conférence des Chefs et des Représentants des Eglises Orthodoxes authocéphales, dans la Cathédrale de la Résurrection de Sokolniki à Moscou
Le 9 Juillet 1948.
Mes Vénérables Seigneurs les Hiérarques, mes Pères et mes Enfants des Eglises orthodoxes du monde entier!
Au nom du Saint Synode de l’Eglise Orthodoxe Russe, au nom de tout Son Episcopat, au nom de toute l’Eglise Orthodoxe Russe, c’est avec joie que nous vous saluons ici, au coeur de la Russie orthodoxe, dans notre capitale Moscou.
Votre coeur fraternel doit sentir lui-même toute la douceur spirituelle d’une rencontre, si rare jusqu’à ce jour, d'Hiérarques appartenant à des peuples qui sont étrangers entre eux, le sang et la langue, mais qui sont apparentés et unis dans la foi, l’espérance et l’amour en notre Seigneur Jésus Christ.
Nous regrettons l’absence forcée, à cause de malheureses circonstances militaires et politiques de nos Vénérables Confrères les chefs des Eglises d’Alexandrie et de Jérusalem. Mais nous sommes persuadés de leur présence spirituelle parmi nous en ces Saintes Journées. Et nous souhaitons les voir au plus tôt délivrés de ces pénibles liens et les convaincre de notre sincère sympathie et de notre amour pour eux en notre Seigneur.
Vénérables Pères et Frères, en vérité «La grâce du Saint Esprit nous a réunis aujourd’hui!» — et qu’elle ne nous abandonne pas pendant toutes ces journées de notre vie en commun!
Nous sommes persuadés de ce que nous nous sommes réunis ici pour confirmer et annoncer la paix, l’amour et la concorde entre nous et nous souhaitons de tout coeur que ces bons sentiments soient partagés par tous ceux qui confessent notre foi orthodoxe et profitent des dons spirituels qu’elle accorde à ses fils. Et nos coeurs sont remplis de joie, parce qu’ils ne vibrent que pour le bien de l’Orthodoxie et de tout l’Univers Chrétien!
Cette joie d ’être ensemble est d'autant plus grande que nous sommes sûrs, qu’avec l’aide de Dieu, nous résoudrons d’un commun accord et pour le bien de l’Eglise, les problèmes que lui pose la vie.
Quels sont ces problèmes qui jusqu’à présent n’ont pas réclamé pas avec autant d’insistance d’être résolue et qui, à l’heure actuelle, se présentent à l’Eglise Orthodoxe avec toute leur ampleur?
Premièrement, tous nous sentons, chacun dans les limites de son Eglise locale, la manifestation d’une activité particulière de la part du Vatican. Par la voie d’intrigues politiques et exclusivement par des moyens temporels, la Papauté fait tout son possible afin de compromettre partout l’union qui règne au sein de l’Eglise Orthodoxe. Au lieu d’une prédication religieuse, pacifique dans l’esprit du Christ, la Papauté mène une propagande hostile avec l’aide de ses innombrables ramifications, et se servant à cet effet d’informations volontairement mensongères, ou tendancieuses au sujet de la situation des Eglises Orthodoxes. Outre cette activité qui n’est ni morale, ni religieuse, elle essaye, en agissant par la force de détacher les populations orthodoxes de leur foi ancestrale. Il y a eu surtout beaucoup de cas de violence de ce genre dans la malheureuse Eglise Serbe pendant l’occupation allemande. Cet aveuglement de la Papauté peut paraître étonnant. Peut-elle estimer que cette acquisition de fidèles, obtenue par un moyen aussi indigne du Christianisme, puisse plaîre au Christ?
N’émettant pas le vouloir d’une union fraternelle en Christ, la Papauté prépare un terrain propice au germe des semences de l’athéisme.
Les vraies missions, la prédication de la pure doctrine enseignée par les Apôtres, se réduisent à la propagande d’idées papistes, qui n’ont rien de chrétien et deviennent dignes d’être qualifiées d’«agression de la Papauté»... N’est-ce pas un scandale aux yeux de tous les Chrétiens? Cela ne renforce-t-il pas la propagation de l’athéisme dans le monde?
C’est pour cela que se posent à nous toutes les questions qui nous inquiètent au sujet de tous les fidèles chrétiens : comment et par quels moyens, nous, Orthodoxes, pouvons-nous, avec l’aide de Dieu, agir sur l’Eglise Romaine, afin de lui ôter son aveuglement moral et de l’appeler à abandonner ses moyens temporels de propagande et ses intrigues politiques?
Notre Seigneur Jésus Christ ne recourait qu’à la prédication pacifique pour faire connaître la Révélation Divine et n’usait de recours paroles de courroux que pour accuser l’hypocrisie : Que les héritiers du Siège Apostoliques de Rome ne se dévient pas de cette voie!
Le Christ ne s’est pas laissé tenter par le Diable dans le désert et ne conclut aucun accord ni avec Hérode, ni avec Pilate. Que les gardiens apostoliques de l’Eglise du Christ à Rome abandonnent cette façon d’agir!
Le Christ, dans Sa prière sacerdotale pour ses disciples, invoquait Son Père: «Père Saint! garde — les en Ton nom... afin qu’ils soient Un...» (Jean, XVII, 11). Et notre premier devoir épiscopal est de tâcher de garder notre unité. Et le Christ dit à ses disciples: «que celui qui voudra devenir grand parmi vous, se fasse votre serviteur, et que celui qui voudra être le premier parmi vous, se fasse votre esclave». (Matth XXI 26 — 27). Que le Seigneur ouvre les yeux de l’âme des Pontifes Romains, et qu’ils acquièrent avec l’aide de Dieu la force de l’Esprit, pour refuser le désir orgueilleux d’établir leur domination temporelle parmi tous les héritiers des Apôtres!
Oh! si le Seigneur daignait nous accorder de voir le jour glorieux de l’union des Evêques qui sont égaux en droits et frères entre eux, des deux Eglises du Christ!... Cela aurait servi de commencement à la paix dans le monde entier et de terme à d’honteuses utilisations du christianisme par les maîtres avides des ténèbres de ce siècle dans le but d’attiser la flamme de la guerre.
Ceci est le premier problème.
Ensuite: Tous nous sommes en relations fraternelles avec l’Eglise Anglicane. Il n’y a pas longtemps encore, nous avons eu des conversations amicales personnelles avec ses Pasteurs au sujet du rapprochement de nos Eglises et au sujet delà reconnaissance de l’Eglise Anglicane par l’Eglise Orthodoxe. Il y a seulement un an que l’Eglise Orthodoxe Russe a reçu de Sa Grâce, l’Archevêque de Canterbury une lettre lui demandant d’examiner la question de la reconnaissance de la validité des ordinations dans l’Eglise Anglicane. En même temps, Sa lettre annonça que ces ordinations sont reconnues séparément par chacun des Patriarches orthodoxes suivants: ceux de Constantinople, d’Alexandrie, de Jérusalem et de Roumanie. Plus tard, nous avons apprises la reconnaissance, à titre privé, des ordinations anglicanes également par l’Eglise Orthodoxe de Bulgarie. Ne possédant que peu de documents au' sujet de cette reconnaissance, nous n’y avons pas vu d’arguments concluants du point de vue dogmatique, canonique et historico-ecclésiologique au profit de la reconnaissance en question. En raison de la difficulté de cette question et de l’absence d’unité dans sa compréhension formulée par l’ensemble des Eglises Orthodoxes locales, nous avons décidé, dans le but de garder le respect dû à notre confrère en Christ, l’Archevêque de Canterbury, de demander à l’ensemble de nos évêques de résoudre fraternellement cette question.
La façon dont comprend cette question l’Eglise Orthodoxe Russe est exposée dans le rapport de l’un des professeurs de l’Académie de Théologie de Moscou.
Il est compréhensible que cette question soit extrêmement compliquée. Surtout, si on prend en considération le fait que le Pouvoir Suprême laie: le roi d’Angleterre est en même temps le Chef de l’Eglise Anglicane et sans l’assentiment duquel aucun des 39 articles de la «confession de foi» anglicane ne peut être changé et que nos pourparlers et même nos accords éventuels, conclus avec le clergé anglican ne pourront porter qu’un caractère préalable.
C’est la deuxième question qui doit être résolue à notre Conférence.
Passons à la question du calendrier. D’une part nous possédons des prescriptions canoniques formelles, précisément au sujet du Canon Pascal, de l’autre, les données plus récentes de la science astronomique. La difficulté de cette question au sujet du nouveau et de l’ancien style dans le calendrier de l’Eglise oblige la nôtre à souhaiter ici également une décision commune inspirée d’en Haut, pour que nous gardions l’unité intérieure de notre conscience orthodoxe commune.
C’est la troisième question qui attend d’être résolue.
Il nous reste encore à entamer l’examen d’une question qui n’est pas plus simple, au sujet du mouvement qu’on appelle «Le Mouvement oecuménique». Les représentants de certaines Eglises ont pris les dernières années une part très active à ce mouvement et, certainement, nombreux sont ceux qui ont déjà à son sujet une opinion bien fixée, peut-être ayant expérimenté par eux-mêmes tel ou tel résultat de son activité. l’Eglise Orthodoxe Russe, n’a pu apprendre à le connaître que par des publications et des rapports écrits. Mais si tous nous sommes persuadés seulement de la vérité absolue, de l’Orthodoxie, alors après l’examen des exposés présentés à la Conférence, nous ne pourrons ne pas en arriver à une même décision au sujet de l’attitude de l’Eglise Orthodoxe envers ce mouvement.
Le Mouvement Oecuménique, c’est-à-dire le mouvement universel pour l’union de toutes les Eglises est presque centenaire. De meilleures espérances des chrétiens de toutes les Eglises sont contenues dans son admirable idée. l’Eglise Orthodoxe prie pour la réalisation de cet espoir. La question de savoir s’il faut tâcher de réaliser cette idée dans la vie peut-elle se poser par elle- même si sa réalisation est tant désirable? Certainement pas, devons nous répondre, car tous nous désirons être unis en Christ.
Mais pourquoi sommes-nous aujourd’hui obligés de poser à nouveau la question de l’attitude de l’Eglise Orthodoxe envers le mouvement oecuménique, dans son cours actuel? Parce que l’année 1937, après les Conférences d’Edinbourg et d’Oxford, est devenue l’année où le mouvement oecuménique a fait un tournant décisif en s’éloignant de l’Eglise en tant que telle, et en déterminant l’importance de cette dernière en comparaison avec des notions qui n’ont rien de commun avec elle, telles que l’Etat, la société, etc. Une Eglise organisée selon le plan oecuménique serait menacée par le fait d’être plus prés de la terre que ciel.
L’Assemblée de 1948 n’aura aucune question dogmatique à résoudre. En particulier, il n’est indiqué au programme officiel de l’Assemblée aucun exposé de l’Eglise Orthodoxe, en tant que telle. Sur toutes les questions il est promis une entière liberté de compréhension et d’agrément ou de refus. Mais la résolution de la question relative de la ratification de la Constitution du Conseil Universel des Eglises, artificiellement créé est déjà décidé d’avance et nesera plus préexaminée. l’Eglise Orthodoxe n’estime pas nécessaire de créer une union administrative des Eglises locales elles-mêmes. Pourquoi participera-t-elle donc à l’union administrative d’organisations chrétiennes qui ont des opinions différentes et cette participation ne signifiera- t-elle pas que nous serions prêts à sacrifier le trésor de notre foi au nom de quelque union illusoire et fausse?
Et puis, quelle place pourraient occuper les Slaves orthodoxes dans cette société? En tous cas, pas celle qui répondrait à leur importance. En effet, à l’Assemblée d’Amsterdam, il n’y aura que trois langues officielles: le français, l’anglais et l’allemand, mais aucune langue slave.
Comment définirons-nous notre attitude envers le Mouvement oecuménique actuel? l’Eglise Orthodoxe a un précédent de résolution positive de cette question à la Conférence de Vatopède en 1930, où les représentants de l’Eglise Orthodoxe Russe furent absents. Les théologiens orthodoxes, au Congrès d’Athènes, en 1936 décidèrent de soutenir entièrement le Mouvement Oecuménique. Mais tout cela s’est passé avant 1937, année de fusion des deux branches du Mouvement: «La Foi et l’Ordre» et «La Vie et la discipline de l’Eglise» avec l’effondrement définitif de la première branche à la Conférence d’Utrecht en 1938. C’est pourquoi cette question doit être réexaminée. L’essai de ce réexamen est entrepris dans notre exposé. On y a pris en considération les comptes-rendus et les décisions des deux Conférences, les opinions des autres Eglises, les impressions des membres des Conférences et on y a fait une analyse critique d ’une certaine partie de tous ces documents. L’exposé montre que l’Oecuménisme a répondu par l'ingratitude à l’aimable soutien du Congrès d’Athènes et n’a pris en considération aucune proposition des orthodoxes. L’ordre du jour de l’Assemblée d’Amsterdam n’est pas fort chargé. La question principale est la ratification de la Constitution du Conseil Universel des Eglises. C’est par cela que l’idéal temporel d’une domination universelle se prépare à la résurrection. On construit un nouveau temple, au toit élevé et à la pancarte orgueilleuse: «Conseil Universel des Eglises».
Dans le souci qu’elle prend de tous les fidèles chrétiens du monde, notre Eglise Orthodoxe doit prendre sur elle la charge de tenter de les sauver de la déviation du vrai chemin qui conduit au Royaume de Dieu. A notre Conférence fraternelle actuelle, nous ne devons pas nous borner à répondre brièvement aux questions que nous posent les autres Eglises; il faut que nous fassions une déclaration solennelle de notre foi. Jusqu’à présent, la plupart des chrétiens ignorent la vérité sur l’Orthodoxie. Que ferons-nous pour satisfaire le commandement du Christ: «Allez et enseignez tous les peuples?...» Que tous ceux qui confessent le Christ apprennent qu’il y a dans le monde une Eglise Orthodoxe qui est Une, Sainte, Catholique et Apostolique conduisant aux portes du Royaume de Dieu et qui possède en abondance toute la plénitude des dons du Saint Esprit. Que tout l’Univers Chrétien sache que l’Eglise orthodoxe tend à la vraie union pour obtenir la paix sur la terre et la prospérité de tous les peuples, répondant à l’appel du Christ à tous ceux qui sont fatigués et chargés.
Que toute âme chrétienne apprenne toute la défense invincible de l’Eglise, toute la plénitude de la Grâce accordée par les Saints Sacrements, toute la sagesse de la tradition patristique et toute la force de la Grâce Divine résidant immuablement dans l’Eglise.
Que le Saint Esprit nous assiste, surtout en ces jours de notre rencontre dans la prière et le travail, nous accordant en abondance les dons de Sa grâce.
Et que triomphe le réel et l’authentique principe des Commandements du Christ au genre humain: l’amour réciproque!