DISCOURS Prononcé par S. S. Le Patriarche ALEXIS A l’ouverture de la séance solennelle commémorative du 500ème anniversaire de l’autocéphalie de l’Église Orthodoxe Russe, dans la Cathédrale de la Résurrection de Sokolniki à Mockou

Le 8 Juillet 1948.

Saintetés, mes vénérables Seigneurs les Métropolites, Archevêques et Evêques, mes révérends Pères et toute la pieuse assemblée. Aujourd’hui nous avons prié auprès des Saintes Reliques du Saint Métropolite Alexis, le Thaumaturge. Par cette prière nous avons inauguré les cérémonies du 500ème anniversaire de l’événement historique que fut pour l’Eglise Russe la proclamation de son indépendance écclésiastique.

Cette communion dans la prière à l’occasion de l'Anniversaire de l’Eglise Orthodoxe Russe, satisfait particulièrement notre conscience religieuse, parce qu’elle témoigne des étroits liens spirituels existant entre les Eglises orthodoxes et qui sont un gage de notre force spirituelle contre les ennemis de l’Orthodoxie.

En effet cette année nous fêtons le 500ème Anniversaire de l’Autocéphalie de l’Eglise Orthodoxe Russe pour qui l’an 1448 fut une date mémorable. Depuis cette époque elle a commencé à consacrer elle même ses Métropolites nationaux, les élisant et les consacrant en Concile de Hiérarques russes. Et le premier des élus russes fut Saint Jonas, qui porta le titre de Métropolite de Kiev et de toutes les Russies. Ses successeurs portèrent déjà le titre de Métropolites de Moscou et de toutes les Russies.

Comment est-il advenu que l’Eglise Russe, qui avait toujours eu des sentiments filiaux pour l’Eglise-Mère Grecque de Constantinople et qui dès le commencement de son hiérarchie ecclésiastique, pendant presque 500 ans avait dépendu de l’Eglise Grecque, eût subitement acquis une indépendance totale? Quels événements extérieurs l’ont-ils amené à cette indépendance et en ont été la cause?

Il faut remarquer que même dés le début de la dépendance de l’Eglise Russe de Constantinople, cette dépendance portait déjà un caratère spécial et l’on peut dire qu’elle se bornait au droit du Patriarche de Constantinople de consacrer le Métropolite pour l’Eglise russe, accordant à celui-ci le droit d’administrer indépendamment son Eglise, suivant les Canons de l’Eglise universelle. Ainsi, même les décisions du Tribunal du Métropolite et de son Conseil, n’étaient pas envoyées à l’homologation du Patriarche. Aucune Eglise soumise au Patriarche n’avait d’aussi larges droits d’autonomie.

Il faut dire que l’Eglise Russe, déjà dès les premières années de son existence, avait eu des droits encore plus étendus et qu’elle satisfaisait à toutes les conditions canoniques, non seulement pour pouvoir jouer d’une large autonomie, mais même pour obtenir l’autocéphalie.

Le nombre de ses évêques dépassait de beacoup le minimum requis par les Canons pour une indépendance écclésiastique totale.

Elle se trouvait dans un autre état, dont le territoire était immense, et complètement indépendant de l’état de son Eglise-Mère.

Ses fidèles appartenaient à un autre peuple, qui avait une autre langue, d’autres moeurs et d’autres coutumes.

Elle était séparée de son Eglise-Mère par une distance énorme et les relations avec cette dernière exigeaient de nombreux mois de voyage et entraînaient beaucoup de difficultés et de dangers. Et alors que ses Eglises-Soeurs, celles de Bulgarie et de Serbie, plus petites et plus rapprochées de Constantinople, jouissaient déjà depuis longtemps de l’indépendance, l’Eglise Russe pendant plus de 450 ans, acceptait humblement son état de somission. Les évêques russes, le clergé et tout le peuple orthodoxe russe dans un esprit de mansuétude chrétienne obéissaient à leur Eglise-Mère et dans tous les cas difficiles, ils lui demandaient aide, conseil et direction. La nécessité d’avoir à la tête de l’Eglise Russe, non seulement un Métropolite russe de naissance, mais aussi le droit de le nommer indépendamment du Patriarche de Constantinople par un concile d’évêques nationaux russes, devenait de plus en plus grande à mesure que l’Etat russe devenait plus puissant et que l'autorité du Métropolite de toutes les Russies croissait et se renforçait.

Le dernier Métropolite envoyé de Grèce fut Isidore, un grec, qui trahit l’orthodoxie et signa «l’Union» avec l’Eglise Romaine. Il fut moins un envoyé du Siège Patriarcale de Constantinople, qu’un prélat du pape Eugène IV.

Rien que le fait que l’évêque Jonas, élu à Moscou, pour le siège de Riazan ne fut pas sacré Métropolite à Constantinople, mais dutrevenir à Moscou, en qualité de la suite du Métropolite Isidore, nouvellement investi fut non seulement un outrage pour le prince Basile II, mais pour toute l’Eglise Russe qui jusqu’alors avait eu plus d’une occasion de voir confirmer ses élections de Métropolites. Mais le principal et l’infranchissable obstacle à la réception du Métropolite Isidore fut que l’on apprit quelque temps après la première venue d’Isidore à Moscou, en 1437, sa trahison de l’Orthodoxie. On sait, d'après de nombreux documents, qu’Isidore fut le principal personnage du Concile de Florence et un partisan zélé de l’«Union». On connaît sa signature sous l’acte de l’«Union»: «στεργῶν καὶ σοναινῶν ὑπέγραψα». C’est-à-dire, «consentant avec amour et approuvant, j’ai signé».

On peut imaginer la confusion et l’horreur du peuple orthodoxe russe, lorsqu’il entendit, le dimanche 19 mars 1441, dans la Cathédrale de l’Assomption, prier non pas pour le Patriarche de Constantinople, Joseph, mais pour le Pape de Rome Eugène, ainsi que la lecture, du haut de la chaire, de l’Edit du 8ème Concile et de l’Acte de l’Union de l’Eglise Orthodoxe Russe avec l’Eglise Romaine.

Le prince réunit d’urgence un Concile à Moscou et écrivit au Patriarche de Constantinople, — Métrophane que l'arrivée d'Isidore et toute son oeuvre «avaient paru à tous nos pieux évêques, aux vénérables archimandrites, aux révérands hégoumènes et aux hiéromoines et moines, ainsi qu'à toute notre chrétienté orthodoxe, comme étant singulières et étrangères aux règlements divins et sacrés».

Isidore fut condamné, destitué par un Concile et enfermé au Monastère de Tchoudov, d'où il s’évada six mois plus tard et, passant par Tver et la Lithuanie, arriva chez le Pape. «Et, ainsi, dit le chroniqueur, il s’enfuit à Rome, d’où il avait apporté la semence de la mauvaise hérésie».

Quand parvint à Moscou la nouvelle que le successeur du Patriarche Joseph, Métrophane, et l’Empereur Jean Paléologue, malgré que l’«Union» ait été condamnée par la plupart du clergé et le peuple grec, étaient restés fidèles au promesses données au Pape au Concile de Florence, alors on prit à Moscou la résolution définitive d’élire un Métropolite national.

Et, en 1448, l’évêque de Riazan, Jonas, élu quelques années plus tôt par un Concile Russe, devient Métropolite de toutes les Russies.

Depuis sa nomination, commence une nouvelle période de l’indépendance totale de l’Eglise Russe de l’Eglise de Constantinople.

l’Eglise Russe a toujours saintement respecté, comme je l’ai déjà dit, son union avec l’Eglise Grecque, mais elle n’avait rien de plus cher qu’une foi intacte. Et ce n’est que dans l’indépendance totale de l’Eglice Grecque, qui était soumise en ce temps-là, à des doutes, comme cela fut prouvé par les rapports de Constantinople avec Rome à l’époque du Concile de Florence et par les événements ultérieurs en liaison avec la soumission de Constantinople au joug musulman, qu’elle voyait la possibilité de garder absolument intacte et pure sa foi orthodoxe.

De cette façon, la proclamation de l’autocéphalie en Russie, résulta du désir de la hiérarchie, du clergé et du peuple russes de garder intacte la foi, et est un témoignage de son amour ardent pour l’Eglise et de son zèle pour l’Orthodoxie.

Mais, plus tard aussi, après la proclamation de l’indépendance de l’Eglise Russe, les rapports de cette Eglise avec l’Eglise grecque ne furent pas rompus. Ces rapports trouvaient leur expression par la correspondance et dans les visites des évêques d’Orient à Moscou, ainsi que dans l’aide aux Eglises nécessiteuses d’Orient, et même, sous le tsar Ivan le Terrible, par le fait que celui-ci demanda et reçut du Patriarche la bénédiction pour sa dignité de tsar.

Les Patriarches Grecs ne rompirent pas leurs relations avec l’Eglise Russe; ils lui annonçaient les changements survenus dans le sein du Patriarcat et envoyaient à l’Eglise Russe des lettres et des messages, la plupart du temps, afin de la remercier pour ses bienfaits et pour lui demander une nouvelle aide.

Dans ces relations, maintenant indépendantes et fraternelles, on ne peut pas ne pas voir les traits de l’union sacrée des Eglises qui composent l’Unique et Sainte Eglise, Catholique et Apostolique. C’est de cette l’Union, dont parle St. Paul, dans son Epître à l’Eglise d’Ephèse, en recommandant «de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix... par une seule espérance de vocation, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu, et Père de tous... (Eph. IV, 3—6)».

Par ces mêmes traits, sont marqués actuellement encore l’unité et la communion des Eglises composant l’Eglise Orthodoxe. Des Eglises éloignées par /la distance, étrangères entre elles, répondent avec confiance et espoir aux invitations des autres Eglises; elles prient ensemble, prennent à coeur les nécessités réciproques, tâchent de tendre la main l’une à l’autre pour porter secours et montrer un intérêt aux nécessités de l’Eglise-Soeur.

Nous confessons les desseins de Dieu, qui sont mystérieux, mais qui sont bons et providentiels pour la destinée de l’Eglise Russe, qui commémore aujourd’hui le 500ème Anniversaire de son indépendance, et nous nous réjouissons de ce qu’à cette fête prennent également part les autres Eglises orthodoxes en la personne de leur Chefs respectifs venus à cette occasion, et de ceux qui les accompagnent.

Nous regrettons que les pieux Chefs des anciennes et grandes Eglises d’Orient, en raison de tristes circonstances, les ayant privés de liberté de déplacement et d’action et dont sont affligés leurs pays respectifs n’aient pu se joindre à nous pour être nos Hôtes bienvenus, comme ce fut le cas en 1945.

En saluant, au nom de l’Eglise Orthodoxe Russe, nos bien chers Hôtes — les Saints Patriarches et les Eminentissimes Métropolites, ainsi que les évéques et les autres personnalités ecclésiastiques et laiques qui les accompagnent, de même que nos Eminentissimes Exarques, nos évêques et nos prêtres qui accomplissent leur ministère au delà des frontières de notre Patrie, je me réjouis de notre réunion actuelle, qui est une réunion fraternelle et de prière et j’exprime le ferme espoir que çette réunion nous liera encore plus étroitement, de même que nos Eglises.

Mais, à côté du spectacle consolant de cette communion spirituelle existant entre nos Eglises, nous devons constater également de bien tristes choses.

En effet, le fait même de cette Conférence des Eglises orthodoxes à laquelle sont venus de différentes contrées nos correligionnaires; le fait du désir qu’a l’Eglise Russe d’avoir les rapports les plus étroits et les plus fraternels avec les autres Eglises Orthodoxes, aussi bien avec les anciens Patriarcats d’Orient qu’avec les Eglises Serbe, Roumaine et Bulgare, et qui s’est traduit par ma visite de ces Eglises et la visite de nos délégations quiy ont été envoyées; enfin nos efforts pour rétablir l’unité qui a été rompue, — sans qu’il y eût de notre faute, — avec les parties dissidentes de l’Eglise Russe; d’aucuns sont enclins à voir dans tout cela notre désir de soumettre nos Eglises-Soeurs à l’influence, à la direction et à la domination de l’Eglise Russe.

Si l’on ne doit pas s’étonner de ce que les ennemis de l’orthodoxie, d’une part, et les ennemis du Peuple Russe, de l’autre, s’exercent à inventer des mensonges à notre sujet et au sujet de l’Eglise Russe, il est pour le moins étonnant que ceux qui travaillent activement pour le bien de l’Eglise et qui sont bien intentionnés à notre égard, tombent sous l’influence de ces inventions malsaines et mensongères. En agissant ainsi, on dirait qu’ils ferment délibérément les yeux sur le caractère tendencieux et mensonger de la presse européenne et américaine où prennent naissance de pareilles inventions.

l’Eglise Russe reste immuablement fidèle aux principes qui lui ont été transmis par ses ancêtres: garder strictement l’Orthodoxie, éduquer ses fidèles dans un esprit de dévouement aux règlements et aux statuts de l’Eglise, éviter toute influence étrangère à l’Eglise.

C’est pourquoi il ne peut y avoir aucun doute que l’Eglise Russe, dans quelque circonstance que ce soit, n’essayera jamais d’agir en maître dans aucune contrée étrangère, même et celle-ci lui est fraternellement proche.

Remercions Dieu, qui nous accorde la joie de cette rencontre. Profitons- en pour le bien de nos Eglises, pour le bien de l’Eglise Orthodoxe qui est Une. Restons fermes dans notre confession et que les embûches des ennemis de la paix n’ébranlent jamais notre paix.

Que le Seigneur daigne nous accorder de célébrer en paix et dans la joie spirituelle, ainsi que dans une communion fraternelle, notre solennité religieuse, à la gloire de Dieu et de Sa Sainte Eglise.

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